En Bretagne, il n'y a
pas que le Kouign-Amann et l'andouille de Guéméné, il y a aussi des
routes à virages et même des routes à chèvres pour peu qu'on s'écarte
des voies rapides, au demeurant utiles quand on veut "tailler" du nord
au sud ou de l'est à l'ouest. Dans un prochain CR, je parlerai de la
D769 qui part de Morlaix, passe par Huelgoat et se termine à
Carhaix-Plouger et des D54 et D42 qui remontent vers le nord. J'irais
jusqu'à dire que les routes bretonnes peuvent constituer un risque
majeur pour l'intégrité des "bandes de peur". Bref, pour mettre du piquant
dans cette balade qui parcourt une partie du Trégor et des monts
d'Arrée, je m'étais préparé un roadbook aux petits oignons : une recette
à base de petites départementales, de vicinales et de virons.
Départ place de l'église à Ploumilliau ! Dédiée à Saint-Milliau,
l'église
abrite quelques oeuvres remarquables : une statue de l'Ankou qui
personnifie la mort et une série de panneaux polychromes décrivant la
passion du Christ. Ce saint-Milliau, qu'un vitrail représente tenant sa
tête décapitée, était un personnage important. Né au 5ème siècle, il
succède à son père sur le trône de Cornouailles et d'Armorique sur un
territoire qui s'étend jusqu'au Cotentin. Au "haut Moyen Age", on
n'était pas regardant sur les canonisations : guerrier redoutable, grand
séducteur mais semble-t-il très pieux, l'affaire avait été réglée par la
vox populi ! C'est bien connu : la voix du peuple c'est la voix de Dieu
! Il se dit qu'à la même époque, Clovis, grand pourfendeur de crânes
avait bénéficié des mêmes indulgences. Les voies du Seigneur sont
impénétrables, celles de son église tout autant. Direction
Plestin-les-Grèves par une petite route sinueuse qui descend vers la
grande plage de Saint-Michel. Le littoral est situé dans la partie sud de la baie de
Lannion. En raison de prélèvements de sable excessifs depuis le 19ème
siècle, la limite des eaux marines a considérablement reculé et favorisé
le développement des algues vertes. Ca n'est pas vraiment un endroit
agréable pour se baigner. Occupé depuis la préhistoire, Plestin a été
une cité gallo-romaine importante. Des fouilles ont permis de mettre à
jour un sanctuaire et des thermes qui se visitent. A la Révolution comme
dans pratiquement toute la Bretagne et la Vendée, les populations
s'étaient insurgées contre la levée en masse des hommes pour aller
combattre les puissances étrangères hostiles à la France. Pour une
population très croyante, la répression contre les prêtres
"réfractaires" avait aggravé les
choses. L'itinéraire se poursuit vers Morlaix qu'on contourne par une
voie rapide, non pas que la ville soit inintéressante mais parce
qu'au contraire elle mériterait qu'on y passe du temps. On trouve sur le
site de la ville des propositions de parcours découvertes qu'on
épuiserait difficilement en une seule journée. Donc, gaz à l'ouest
toute par la D19 et la D788 jusqu'à Lannouarneau avant de plonger plein sud sur
Landerneau, une très jolie petite ville avec son pont
habité au-dessus de l'Elorn, une rareté en France et même en Europe. A
partir de Sizun on pénètre dans le parc régional d'Armorique et ce bon
vieux massif hercynien usé par des millions d'années. "Né" il y a 300
millions d'années sous l'effet de la tectonique des plaques, il s'étend
sur des milliers de kilomètres. 150 millions d'années plus tard ses
sommets atteignaient par endroit les 8000 mètres et ce qui allait devenir la Bretagne
se trouvait à l'équateur ! Il faudra 150 millions d'années supplémentaires
pour que l'érosion façonne le massif armoricain tel qu'on le connaît :
terres et mer fortement imbriquées dans des rias profondes ; reliefs aux
dénivelés modestes ; vallées encaissées résultant des phénomènes
géologiques et de l'action des très nombreux cours d'eau. L'enclos
paroissial de Sizun, avec sa porte triomphale renaissance, son église et
son ossuaire à deux niveaux mérite une halte et si le hasard fait qu'on
y passe sur l'heure de midi, il suffit de traverser la rue et s'installer à la
crêperie "Ouchibou". Après Sizun on pénètre sur le territoire des
"Montagnes sacrées" : les Menez. Autrefois, les druides y célébraient
des cérémonies en l'honneur des dieux celtes. Ce sont des régions de
landes et de tourbières, qui rappellent les paysages écossais. La
bruyère des landes était utilisée pour confectionner des litières tandis
que la tourbe, exploitée depuis le moyen âge servait de combustible. Et
puisque le mot "combustible" est lâché, la dernière fois que j'ai fait
cette balade, c'était après les incendies de juillet 2022. Depuis la
D764, à hauteur de Commana, on pouvait voir le Menez de Brasparts ravagé
par l'incendie. La lande avait brûlé évidemment et il ne restait des
arbres que des squelettes noircis. La chapelle Saint-Michel en revanche
avait été épargnée. La lande est un milieu fragile : la bruyère et le
genêt sont hautement inflammables et ce n'était pas la première fois que
les monts d'Arrée avaient été dévastés par les flammes. D'inquiétantes cérémonies incantatoires
s'étaient déroulées au cours desquelles des animaux avaient été sacrifiés : rituels pour arrêter le feu ou pour l'allumer ?
En quittant Berrien, à gauche sur la D42, on peut apercevoir la ruine de
la chapelle Sainte-Barbe. Foudroyée, elle n'a conservé que ses murs.
Après avoir traversé la forêt de Fréau on remonte vers Carnoët, célèbre
par sa vallée des Saints. C'est un site exceptionnel, "l'île de Paques
bretonne" avec des centaines de statues monumentales représentant les
saints bretons et qui à terme devrait regrouper un millier de statues.
Une visite incontournable ! L'itinéraire remonte enfin vers le nord pour
s'achever là où il avait commencé, à Ploumilliau.
Les monts d'Arrée
vus par le poète breton Xavier Grall
J'aimerais vous montrer
les monts chauves de l'arrée, les sentiers blancs qui conduisent à des
manoirs poignardés, les chemins qui s'enroulent autour des hameaux
bleus. C'est un pays de brumes et de vents en bataille, avec des
toponymes aussi fluides que des ondées, aussi sonores que des gongs. |