Englué dans la morosité
d'un printemps qui laissait trainer l'hiver, j'avais renoncé à une
balade ambitieuse dans le Perche au profit de cette boucle plus modeste qui part
de Mantes-la-Jolie, suit la Seine jusqu'à la Roche-Guyon, file vers le
nord en longeant l'Epte et la Lévrière jusqu'aux limites du Pays-de-Bray,
puis redescend vers la Seine et la vallée de l'Eure. Histoire
d'optimiser mon taux de virages au kilomètre j'avais exploré la
"Michelin" à la loupe : de l'incontournable parce c'est...
incontournable mais aussi de l'inédit : routes forestières et petites
blanches qui ondulent le long des cours d'eau. Pour commencer, en
partant de Mantes, on franchit le pont de Limay en saluant sur la droite le vieux
pont du 12ème partiellement détruit en 1940 et on emprunte la route qui mène à La-Roche-Guyon via Vétheuil et là, on est sur de...
l'incontournable ! Situé dans une
boucle de la Seine, au pied des falaises crayeuses, Vétheuil doit sa
réputation à Claude Monnet, qui y vécut avant de s'installer à Giverny.
Mais l'histoire du village est bien plus ancienne : tantôt anglais,
tantôt français durant la guerre de cent ans, il ne reviendra à la
couronne de France qu'en 1449 avec la prise du château de Gisors dans la
vallée de l'Epte. Immortalisée par Claude Monet, l'église de Vétheuil
est perchée au somment d'un escalier impressionnant de 50 marches. Sa
partie la plus ancienne, le choeur gothique est antérieure à la guerre
de 100 ans et elle ne fut achevée qu'au 16ème siècle, comme en
témoignent ses deux portails renaissance. Avec son château, ses
falaises troglodytiques, la Roche-Guyon est un village classé parmi
"les plus beaux villages de France".
Visité par plusieurs souverains, il avait appartenu à la famille "De La
Rochefoucauld", dont les descendants sont toujours les propriétaires.
Remanié à la Renaissance, il conserve un ancien donjon auquel on accède
par un tunnel creusé dans la craie. Durant la seconde guerre mondiale,
il avait été occupé par l'état major allemand sous l'autorité de Rommel.
Ce dernier qui n'adhérait pas aux théories nazies était entré en
contact avec la résistance allemande et du coup le château était devenu le siège
d'un complot destiné à renverser le régime hitlérien. La
conjuration n'avait pas abouti en raison du débarquement des alliés en
Normandie. En quittant La Roche-Guyon, on laisse sur la gauche
la route de Giverny et on remonte la jolie vallée de l'Epte. Comme on
passe à
quelques encâblures du moulin de Fourges, il serait dommage de ne pas si
rendre :
d'inspiration normande, il se dresse en bordure
de l'Epte. Il accueille actuellement un hôtel restaurant de prestige
dans lequel votre serviteur a eu le privilège de déjeuner.
Dans la vallée de la Lévrière, Saint-Denis-le-Ferment est un village aux
maisons anciennes, avec un château du 17ème, un moulin à eaux, un
manoir, une église et un prieuré recensés à l'inventaire général du
patrimoine culturel. Pour ceux qui peuvent s'attarder, plusieurs chemins
de randonnée, dont celui bien agréable de la "Reine Blanche", veuve du
roi Philippe 6 qui affectionnait particulièrement cette promenade le
long de la Lévrière. Quelques kilomètres après Saint-Denis on
pénètre dans la forêt de Lyons par des routes forestières qui invitent
au "jardinage" dans les somptueuses hêtraies cathédrales, véritables
falaises vertes. Et puis on est dans un pays de légendes : dans l'abbaye
de Mortemer, les moines assassinés pendant la révolution se promènent
toujours dans les caves pour y boire un vin au goût de sang tandis qu'une Dame blanche, morte en 1167 après avoir été enfermée plusieurs années
dans un cachot, apparaît la nuit. Si tu la rencontres portant des gants
noirs, sache que tu mourras dans l'année ! Mais si tu triomphes des
sortilèges de cette terrifiante forêt, tu pourras te réconforter à
Lyons, à la terrasse du rendez-vous des motards, derrière la superbe
halle couverte. En sortant de la forêt de Lyons par les petites
routes qui entourent l'abbaye de Mortemer, on est vite rendu au Géant
légendaire de la vallée de la Seine : "Château Gaillard", ainsi nommé
par Richard Coeur de Lion. Le site est impressionnant et si on y est en
fin d'après-midi, le coucher de soleil accentue le contraste entre
l'ombre gigantesque de la forteresse et la lumière qui éclaire encore
les falaises de la vallée de la Seine. Suite au scandale de la Tour de
Nesle, les trois belles-filles du roi Philippe 4 le Bel y seront
enfermées. Quant aux amants de ces dames, on leur avait réservé des
gâteries particulièrement raffinées : battus, émasculés et ébouillantés
par du plomb fondu en place publique, on les avait traînés dans les rues
avant de les décapiter et d'exposer ce qui restait de leur dépouille à
un gibet. Y'a pas, on savait se montrer inventif et bienveillant à cette
époque. En quittant Gaillon par les bords de Seine, on file ensuite
vers la vallée de l'Eure en longeant le ruisseau de Saint-Ouen par une
petite route bucolique (D63). C'est au charmant petit village de
Cocherel qu'on rejoint la vallée de l'Eure. En traversant la rivière, on
peut admirer un ancien moulin à eau. Et pour boucler la
boucle, direction Rosny-sur-Seine, la ville natale de ce bon vieux
Sully, ministre d'Henri 4 et qui fit construire le château actuel, hélas
dépouillé de ses richesses patrimoniales et artistiques par des
propriétaires japonais qui s'étaient pourtant engagés à préserver et
améliorer l'état du château. En revanche, au terme de la balade, la
collégiale de Mantes a fait l'objet de plusieurs campagnes de
rénovations et dans cette ville copieusement bombardée pendant la
seconde guerre mondiale, elle est un des rares monuments à ne pas avoir
été détruit. Erigée près de l'ancien château dont il ne reste rien à
l'exception de quelques vestiges, elle se dresse fièrement au-dessus de
la Seine. |